Lorsqu’on parle de développer l’internet au Bénin, échaudés par l’apparition récurrente de soi-disants ” panacées du développement ” ou par l’utilisation d’un nouveau paradigme venant du Nord, beaucoup crient à la mascarade et au mimétisme. Nous comprenons ces réactions, tout à fait justifiées, quand bien même la morale enseigne de ne jamais jeter le bébé ainsi que l’eau de bain. Lorsqu’il s’agit de l’internet, des ” Technologies de l’Information et de la Communication ” (TIC ou NTIC), nous devons être plus froids et mieux analyser les choses pour prendre des décisions salutaires pour le pays, surtout lorsque nous sommes décideurs du secteur.
Qu’on comprenne bien notre propos. Pour nous, l’internet n’est pas l’instrument magique qui transformera SOUDAINEMENT nos hameaux en d’imposants immeubles, nos populations illettrées en nouveaux Voltaires, nos eaux souillées en eau potable, nos âmes corrompues en foyers immaculés, qui guérira d’un coup le Sida ou le paludisme, etc. L’internet n’est pas non plus une bonne sœur charriant une bonté innocente et gratuite. Mais autant refuser de ne plus s’exprimer en français ou anglais, de ne plus ni prendre l’avion, ni conduire nos Mates, nos 505, si forts de cette dernière argumentation, nous nous fermions à l’internet.
Pourquoi s’indigner de l’état de développement actuel de l’internet dans notre pays ?
LE BENIN, LANTERNE ROUGE
Fin 1995, le Bénin s’est connecté, bien avant la plupart des pays francophones africains au sud du Sahara. Bon nombre de ces pays nous enviait alors, se disant que nous venions ainsi de nous doter (même si l’initiative n’était pas nôtre) d’une technologie pouvant appuyer notre développement multisectoriel. Nous avions alors un ” débit ” international de 64000 bips/s ( le débit international est la vitesse de transmission des informations entre le Bénin et l’étranger ; le débit constitue un facteur très important en ce qui concerne l’internet, parce que permettant ou non de jouir de toutes les potentialités qu’offre la technologie). Ce débit bien que très faible, nous situait parmi les pays du Sud les mieux pourvus à l’époque. Les autres pays africains ont par la suite commencé à se connecter. Sénégal, Togo, Burkina Faso, Niger, Nigéria, etc. Ces pays en se connectant, prirent des débits de 64000 bit/s, tout comme nous, puis rapidement, certains d’entre eux évoluèrent, se rendant compte des limites que leur donnait cette vitesse. Le Sénégal alla rapidement à 1mégabit (soit environ 15 fois le débit béninois). On nous promit alors également une augmentation de notre débit. Entre temps, nous bénéficions, comme certains pays africains de la mise en œuvre locale d’un projet américain appelé Leland Initiative, dans le cadre duquel, entre autres, notre débit pouvait être élevé jusqu’à au moins 1 mégabit en moins de trois ans (vers 2000). Dans cet élan, après moults tergiversations, en février 1998, notre débit fut doublé : 128 000 bits/s. Entre temps, le Togo, le Burkina et autres étaient à 256 bits/s, soit le double de notre nouveau débit. Aujourd’hui, le Sénégal se situe à au moins 2mégabits, le Nigéria 2 mégabits, le Burkina court vers 2 mégabits, le Togo possède1 mégabit. Le Bénin est toujours à 128 000 bits/s (soit au moins 8 fois moins que le Togo, au moins seize fois moins que le Sénégal) ; le projet Leland est apparemment bouclé. Si nous ne devons ni nous comparer à la France, aux Etats-Unis, ni peut être même à l’Afrique du Sud, au Nigéria et au Sénégal (encore que !..), nous pouvons au moins nous comparer au Burkina et au Togo. Et il est inconcevable et inacceptable que nous soyons à ce stade aujourd’hui et que depuis plus de deux ans, l’augmentation du débit reste au stade de projet. De plus, au Togo où la liberté d’expression est encore entravée, ce n’est pas le seul Togotel (équivalent de l’OPT) qui possède 1 mégabit, mais un opérateur privé existe (CAFE informatique), qui possède environ un débit de 1,2 mégabits/s et qui est totalement indépendant de Togotel depuis 1997. Le Bénin, chantre de la démocratie, est loin de cet exploit. Et comme d’habitude, après notre connexion, nous avons tôt fait de reprendre les bonnes habitudes. Nous avons coutume d’être lanterne rouge, pourquoi faire exception à la règle ? Nous étions quartier latin de l’Afrique, premier exportateur de palmier à huile, champions africains de boxe, etc… Aujourd’hui nous sommes là où nous sommes. Nous avons connu le téléphone portable en 1995, avant beaucoup de pays de la région. Nous avons dès lors pris le soin de choisir une technologie AMPS en voie de disparition. Ce n’est qu’en 2000 que le GSM sera opérationnel chez nous, après tous les pays de la région. ” C’est le Béninois qui est comme çà ” a dit un Togolais. Bientôt, la démocratie sera diffusée sur tout le continent, et nous irons encore tenir notre poste rouge qui nous attend impatiemment. Et le monde nous oubliera définitivement.
MAIS POURQUOI AVOIR UN BON DEBIT ?
Bien que l’augmentation du débit ne soit pas la panacée du développement des NTIC, ne pas avoir un bon débit peut être comparé à être enfermé dans une chambre contenant une très faible dose d’oxygène. Très vite, vous devenez diminué dans vos potentialités, vous étouffez, et cherchez par tous les moyens à vous en extraire. Telle est la situation de l’internet au Bénin. Du fait de la faiblesse de notre bande passante (autre nom pour débit), nous ne pouvons exploiter toutes les potentialités qu’il offre (utilisation de la voix, téléphonie par l’internet, vidéoconférence, visiophonie, formation à distance etc..) ; nous avons tellement de difficultés que nous nous en écartons finalement. Les exemples sont légions. Nous ne pouvons dès lors comprendre que l’internet et les réseaux du type, soient des appuis au développement. Nous connaissons à peine le courrier électronique et la navigation. Et lorsque nous naviguons, nous avons tellement de problèmes de déconnexions, tellement de problèmes de lenteur dans la connexion, que nous perdons beaucoup d’argent, et que nous arrêtons notre utilisation, dégoûtés. A Lomé, pour citer cet exemple, l’internaute paie pour une heure de temps en moyenne 800 F. A Cotonou, il faut payer au moins 1500 F en temps normal et vous naviguez sur une vitesse plus lente. L’utilisateur habitant hors de Cotonou, souffre encore beaucoup plus pour se connecter et paye encore plus cher sa connexion du fait du coût du téléphone (appel vers Cotonou, car absence d’un autre point de présence). A Lomé, vous pouvez émettre des appels téléphoniques vers l’Europe et l’Amérique par l’internet avec une assez bonne qualité d’écoute et pour 250 F ou moins par minute. Une telle possibilité relève du rêve à Cotonou, toujours à cause du débit ridicule. La plupart de ceux qui y ont testé la téléphonie par l’internet, n’y reviennent plus. Alors que chez nous cette application est un objet muséal pour démonstration et exposition, à Lomé, elle est consommée intensément par les étudiants, les opérateurs économiques nationaux comme étrangers, le grand public. Un très grand nombre de petites entreprises est né par ce produit qu’elles commercialisent (création de nouveaux emplois !). L’internet a d’ailleurs connu son développement dans ce pays par la téléphonie. Des applications comme le netmetting, inconnues chez nous, sont couramment utilisées. Profitant également de leurs liaisons spécialisées (disponibles dans beaucoup plus d’institutions et coûtant beaucoup moins chères qu’au Bénin), les entreprises commencent à développer des usages novateurs (la télévision togolaise qui a commencé à émettre sur le net, le commerce électronique s’expérimente activement, etc). Si le paysage politique était plus démocratique, nul doute que ce pays entrerait progressivement dans une nouvelle ère de développement des NTIC et de son développement global, notamment en ce qui concerne le commerce électronique et les applications multimédia. Pourtant nos décideurs voyagent et sont au courant de toutes ces avancées dans les autres pays du Sud comme du Nord ; pourtant ils reviennent au pays et comme si de rien n’était, continuent leur ronde quotidienne ; pourtant ce n’est pas le coût d’une connexion à 1 mégabit qui se situe hors de notre portée. Avec plus de 2000 abonnés, on peut rentrer dans ses fonds en un mois à peu près (pour un abonnement mensuel d’au moins 10 000 F ). Or on sait que l’OPT dispose aujourd’hui de plus de 2000 abonnés et que l’offre de liaisons spécialisées (au moins 1 million par mois aujourd’hui) reviendra doper ce chiffre d’affaire. De nouveaux candidats à l’obtention d’une liaison spécialisée devraient aussi apparaître ( si l’on veut bien la leur attribuer !) si les coûts étaient revus à la baisse.
DEVELOPPER LE TELEPHONE OU L’INTERNET ?
Lorsque l’on parle du développement de l’internet, on y oppose quelquefois le développement préalable du téléphone. S’il est vrai que sans téléphone on ne peut utiliser l’internet et que les populations ont d’abord besoin du téléphone, il est aussi vrai qu’on ne saurait ” attendre ” d’avoir développé le téléphone (depuis des années on s’y attèle, pourtant des milliers de demandes sont insatisfaites) avant d’augmenter le débit national (première urgence dans le processus de développement de l’internet au Bénin). De plus, augmenter le débit national, est de loin plus ” facile ” que de développer le téléphone, puisqu’il suffit de disposer de fonds et de contacter un prestataire de service. Nul trou à creuser. Ce n’est qu’une question d’heures ou de jours, contrairement au développement de la téléphonie filaire. Et le retour d’investissement est garanti. En définitive, on peut à la fois bien développer l’internet et le téléphone simultanément ; ces deux actions sont tellement complémentaires qu’on ne peut les distinguer. Bientôt les téléphones portables pourront être connectés sur l’internet et nous ne pourrons jamais jouir de toutes leurs potentialités si nous ne développons pas l’internet. On pourrait même créer une filiale devant offrir rien que le service internet et des produits connexes à l’OPT, filiale qui s’occuperait plus spécifiquement de son développement. Cela s’est fait au Sénégal, en France (et même au Bénin pour le portable Libercom, bien que nous ne soyons pas en face des mêmes cas de figure).
La réunion du G8 qui vient de se tenir au Japon a consacré des sessions sur la société de l’information, autre preuve de l’enjeu qu’elle constitue pour les Nations. Deux semaines plus tôt, nous avions accueilli le président Khadafi et avions applaudi l’Union Africaine. La définition du rôle et de la place que nous devons avoir dans cette union doit désormais être notre tâche première. Si nous demeurons un coin perdu de cette Afrique marginalisée, un hameau volontairement en quarantaine dans une mondialisation et une union tueuses des individualités, alors le Bénin disparaîtra. En ce qui concerne le débit international internet, le minimum à exiger est actuellement un mégabit par seconde. Il est également temps que le gouvernement mette en place une politique nationale sur le développement des NTIC au Bénin (depuis l’informatique, jusqu’à l’internet, à la télématique en passant par le téléphone). Le Ministère de la Culture et des Communications a depuis plus d’un an un projet d’organisation de journées sur les Nouvelles Technologies. Ainsi va l’ex-quartier latin de l’Afrique.
Par Ken Lohento