Article publié dans le magazine ICTUpdate, Numéro 73, août 2013 (traduit de l’anglais) – English version.
Les SMSI de 2003 et 2005 ont appelé à l’élaboration de stratégies TIC dans tous les secteurs. Mais il en faut bien plus pour formuler des stratégies d’e-agriculture dans les pays ACP.
Dans ce « village global » qu’est aujourd’hui le monde, rares sont les communautés qui n’ont pas ressenti les effets de la révolution des TIC. Nous sommes tous ou presque des utilisateurs réguliers du portable et des consommateurs férus des TIC. Que ce soit dans les pays développés ou en développement, les gouvernement ont défini des politiques, des cadres réglementaires et des infrastructures institutionnelles se rapportant aux TIC afin de faciliter et de mettre de l’ordre dans cette cyber-évolution qui bouleverse le monde qui nous entoure.
Les Sommets mondiaux sur la société de l’information (SMSI) tenus à Genève en 2003 et à Tunis en 2005 ont cherché à réduire la fracture numérique mondiale en élargissant l’accès aux TIC dans les PED. Bien que ces sommets se soient moins intéressés à l’agriculture qu’à la santé et à l’éducation, ils ont malgré tout lancé un appel à l’élaboration de stratégies TIC pour tous les secteurs, y compris l’agriculture.
Depuis, certains pays du groupe des États ACP, comme le Rwanda, ont mis les bouchées doubles et enregistré des avancées, de la création de sites tests d’e-gouvernement à l’élaboration d’appareils et d’applis de nouvelle génération. D’autres pays, en revanche, comme Nauru et le Burundi, sont très en retard dans la définition de leurs e-stratégies et risquent de passer à côté des principales évolutions en matière de TIC.
Lente adoption des stratégies d’e-agriculture
L’e-agriculture est un domaine d’activité qui cherche à utiliser les outils et les technologies modernes d’information et de communication pour accroître la productivité agricole et diffuser des informations qui intéressent la recherche agricole, la planification, la vulgarisation, le monitoring, la commercialisation et les échanges. L’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) – qui coordonne la ligne ‘e-agriculture’ du plan d’actions du SMSI 2003 – définit celle-ci comme un nouveau domaine, au croisement de l’informatique agricole, le développement et l’entrepreneuriat.
Alors que d’autres secteurs figurent en bonne place des e-stratégies nationales des pays ACP, l’agriculture brille par son absence dans ces documents de politiques. Dans un rapport publié en 2010 sous le titre National e-strategies for Development: Global Status and Perspectives, les Nations unies constatent que bien peu de PED ont élaboré et adopté une stratégie nationale d’e-agriculture, alors qu’ils disposent quasi tous de stratégies d’e-gouvernement, d’e-commerce, d’e-apprentissage et d’e-santé. En 2012, seuls quatre pays (la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Mali et le Burkina Faso) avaient officiellement préparé des stratégies d’e-agriculture (d’après une recherche documentaire effectuée par le CTA en vue de la réunion d’avril 2013 de son Observatoire des TIC).
Abondance de projets isolés
Le fait que des stratégies d’e-agriculture ne soient pas officiellement adoptées ne signifie pas que rien ne se fasse. Au contraire, on assiste à une efflorescence de projets de TIC au service de l’agriculture dans les PED, grâce à un taux de pénétration de plus en plus élevé du portable (plus de 90 % en Asie du Sud et bientôt 70 % en Afrique). Les portables sont faciles à utiliser et surmontent de mieux en mieux les obstacles de l’illettrisme et de l’accessibilité financière pour offrir une vaste gamme de services comme le transfert d’argent, les prix du marché et les prévisions météo. Une nouvelle génération d’appareils intelligents – les smartphones et les tablettes notamment – ne font qu’étendre la gamme d’usages des appareils mobiles et les muer en outils personnalisables pour la vulgarisation agricole et les conseils professionnels.
Avec le soutien de la Banque mondiale, le gouvernement nigérian distribue la bagatelle de 10 millions de portables à ses paysans. En Inde, CABI a développé Direct2Farm, un service agricole infomédiaire pour portable qui met des informations de grande qualité directement à la disposition des paysans via des SMS, des messageries vocales et des applis. Le projet a franchi la phase pilote pour devenir opérationnel. Au Kenya, mFarm fournit des informations de marché qui intéressent les paysans délaissés par les opérateurs de téléphonie.
Dans les Caraïbes, des réseaux comme le JAMIS (Jamaica Agricultural Marketing Information System) utilisent de plus en plus le portable comme vecteur de leurs services d’information, et dans le Pacifique, l’institut national de recherche agronomique de Papouasie-Nouvelle-Guinée planche sur un projet de retour d’information des paysans via SMS.
Dans la plupart des pays ACP, ces initiatives et d’autres demeurent néanmoins des projets isolés, généralement ad hoc. Ils ne semblent pas avoir de vision globale pouvant permettre une mutualisation des resources, des budgets, et l’accès abordable des TIC à tous les acteurs agricoles. Une situation qui exige le développement de stratégies TIC spécifiques et cohérentes.
Enseignements livrés par l’élaboration de stratégies
Seuls quelques pays ACP se sont lancés dans l’élaboration de stratégies d’e-agriculture. Si les documents nationaux relatifs aux TIC au service du développement adoptés par la plupart des pays ACP au début des années 2000 – avec l’aide et le soutien d’institutions comme la Commission économique pour l’Afrique (CEA) de l’ONU et l’IICD, font référence à l’agriculture, c’est dans l’optique de stratégies sectorielles complètes et distinctes qui seront élaborées dans un deuxième temps. Or en Afrique, les principaux intervenants agricoles ont été peu associés à la définition de la stratégie générale des TIC au service du développement, d’où une absence d’appropriation et de suivi dans l’élaboration des stratégies spécifiquement vouées à l’e-agriculture.
Au Ghana, par exemple, le document politique Implementation Strategy and Action Plans for Modernisation of Agriculture and Development of Agro-Business Industry in Ghana a, certes, été élaboré et lancé en 2007, mais son manque d’appropriation par le ministère de l’Alimentation et de l’Agriculture a fait qu’aucune suite ne lui a été donnée. Il a fallu attendre 2013 pour voir le ministère rouvrir ce chantier. Au Mali et au Burkina Faso, la stratégie de mise des TIC au service de l’agriculture et du développement rural a été élaborée en 2011 avec le soutien de la CEA, mais attend toujours le feu vert officiel. Dans d’autres pays, le processus s’est essoufflé à cause des délais dans la rédaction des documents politiques.
Il y a cependant le bon côté des choses. La Côte d’Ivoire s’est dotée d’une stratégie d’e-agriculture en 2012 grâce à une collaboration efficace entre les ministères en charge des TIC et de l’agriculture. Le suivi a été assuré, au travers notamment d’un séminaire organisé en juillet 2013.
On observe par ailleurs une nouvelle tendance : certains pays planchent désormais sur des stratégies relatives à des segments spécifiques de la chaîne de valeur. La segmentation des stratégies peut être efficace lorsqu’elle n’entre pas dans un plan isolé et pour autant que l’ensemble des segments soient traités de manière cohérente. Ces stratégies sous-sectorielles portent entre autres sur la vulgarisation, le commerce et les marchés agricoles, la recherche agronomique, l’après-récolte et la gestion des risques, ou encore l’amélioration de l’accès aux TIC pour les parties prenantes agricoles.
Deux des principales recommandations issues de l’édition 2013 de l’Observatoire des TIC sont d’améliorer la collaboration plurilatérale et de renforcer l’appropriation par les ministères en charge de l’agriculture afin de soutenir la mise en œuvre de stratégies d’e-agriculture efficaces. Celles-ci devront être dans le droit fil des politiques agricoles en cours, et promues par les institutions et des programmes régionaux comme le Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine.
________________________________________________________________________________________
Ken Lohento ( lohento(at)cta.int) est le coordinateur du programme ICT4D du CTA. Cela fait 15 ans qu’il occupe diverses fonctions dans des organisations nationales, régionales et internationales en lien avec les politiques et utilisations des TIC au service du développement. Au CTA, il travaille essentiellement sur des projets liés aux stratégies d’e-agriculture, à la jeunesse et aux TIC, et au web 2.0.
Harsha Liyanage ( smilingharsha(at)gmail.com) est militant et consultant en TIC au service du développement depuis plus de 18 ans. Il a été manager chez Sarvodaya-Fusion (Sri Lanka) et directeur d’eNovation4D Ltd (Royaume-Uni). Il est également conseiller international du Global Knowledge Partnership. Il est intervenu dans de nombreuses conférences mondiales, dont le Sommet mondial de la société de l’information, en tant qu’orateur.
_____________________________________________________________________________
Liens Associés
ICT Observatory 2013: Strengthening e-agriculture strategies in ACP countries http://ict-observatory.cta.int
World Summits on the Information Society 2003 and 2005 www.itu.int/wsis et goo.gl/soMux3
National e-strategies for development: global status and perspectives 2010 http://goo.gl/prbcq5
CABI Direct2Farm http://direct2farm.org/