(Par G. ALAVO) L’introduction des technologies de l’information et des communications dans le processus électoral engendre à la fois intérêt et inquiétude aussi bien au niveau des électeurs que des administrateurs électoraux du monde entier. Aujourd’hui, la plupart des organismes de gestion électorale (OGE) recourent aux nouvelles technologies dans le but d’améliorer le processus électoral. Ces technologies vont des instruments de la bureautique de base tels que le traitement de texte et les tableurs jusqu’à des outils beaucoup plus sophistiqués de traitement des données, tels que les bases de données, le balayage optique, les systèmes d’information géographique, le vote électronique.
Dans une dépêche de l’AFP en date du 20 janvier 2012 reprise par des quotidiens nationaux béninois comme le journal « le Matin » dans sa parution électronique du 09 février 2012, le chef de l’Etat béninois, le Président Boni Yayi a indiqué « qu’il soumettrait la proposition du vote électronique, faite par la Cour constitutionnelle, à des experts attendus à Cotonou pour examiner la liste électorale permanente informatisée (Lépi) dont l’élaboration a suscité beaucoup de controverses ».
En effet, lors d’une cérémonie de présentation de vœux aux représentants des institutions de la République, Boni Yayi a précisé « que l’examen de cette proposition de vote électronique se ferait lors du séjour des experts à Cotonou en janvier et février prochains. La Cour constitutionnelle a suggéré l’instauration du vote électronique au Bénin lors d’un séminaire, tenu en décembre dernier, sur l’évaluation des dernières élections présidentielle et législatives […] »
Certains pays font aussi des expériences de vote par Internet afin de faciliter le vote et d’accroître la participation électorale. Tous ces efforts doivent théoriquement assurer la crédibilité du processus électoral et la fiabilité des résultats des élections. Alors que ces technologies ouvrent des nouvelles frontières et offrent des nouvelles possibilités pour le processus électoral, spécialement pour les opérations de vote, il pourrait y avoir des risques imprévus tels l’accroissement de l’achat de votes ou la difficulté de vérifier les résultats d’une élection. Une attention particulière doit être apportée aux risques d’utilisation inappropriée ou inopportune de la technologie, surtout si elle peut compromettre la transparence du processus électoral, son appropriation locale ou sa viabilité.
Parmi toutes les nouvelles technologies, le public s’intéresse le plus à celles qui permettent le vote électronique. Il est tout à fait acceptable d’innover dans les mécanismes visant à assurer le droit de vote. Il importe toutefois de tenir compte de l’effet que pourrait représenter pour le processus électoral une introduction prématurée ou indue de procédés technologiques surtout s’ils mettent en péril la transparence du processus, l’intégrité des administrateurs ou s’ils n’offrent pas de viabilité. Sur le principe, l’idée paraît intéressante. Malheureusement sa mise en œuvre nécessite que certains points d’ombre soient levés. Il s’agit entre autres :
- de l’opportunité d’introduire cette technologie dans notre système électoral et notre environnement socio-économique où Internet et le bas débit n’existent pas 7 jours/7, 24h/24. Quels sont les avantages, les contraintes, les risques et la disponibilité des équipements TIC pour la mise en œuvre du vote électronique ?
- Quid de la formation du personnel électoral comme des électeurs de niveau majoritairement peu instruits à l’utilisation d’une technologie du 21 siècle ? Quid de l’évaluation de cette formation sur la technologie si elle est mise en œuvre ?
1. Rapide définition du vote électronique
Tout d’abord, le vote électronique recouvre plusieurs types de vote. Leur point commun est d’utiliser un système informatique pour recueillir et compter les votes. La forme la plus commune du vote électronique consiste à placer un ordinateur de vote dans chaque isoloir et à amener le citoyen à exprimer son vote en appuyant sur un bouton. Le vote électronique peut également consister à voter à distance, depuis un ordinateur personnel relié à Internet ou depuis un téléphone mobile.
2. Les principes du vote électronique
La légitimité du vote – électronique ou non – repose sur 3 principes :
- le secret du vote :
- il permet des élections libres
- le choix du vote ne doit avoir aucune conséquence sur le citoyen votant
- le vote ne doit pouvoir être vendu ni acheté
- l’auditabilité du processus de vote :
- les mesures d’assurance qualité doivent permettre d’identifier et de corriger les erreurs
- l’auditabilité doit permettre le recompte des voies
- l’auditabilité ne peut se substituer à la transparence
- la transparence du processus de vote :
- assurance que le vote est conforme aux lois et mené selon les principes en vigueur, chacun doit pouvoir s’en assurer
- la transparence crée la confiance des citoyens, donc la légitimité du vote
- permet de limiter la contestation du vote
- la transparence ne peut être déléguée à une autorité
Dans chaque pays où le vote électronique a été expérimenté (Hollande, Irlande, Belgique, France, Allemagne, Estonie, Suisse), il a fait l’objet de nombreuses réclamations diminuant d’autant la légitimité du scrutin incriminé.
3. Le vote électronique est très peu utilisé dans le monde à cause de ses inconvénients énormes
Le vote traditionnel possède des caractéristiques simples mais essentielles :
- l’urne est un périphérique passif
- l’urne ne fait pas de traitement : ce qui entre dans l’urne est ce qui sort de l’urne
- l’urne est littéralement transparente et toutes les manipulations sont publiquement effectuées
Or le vote électronique ne dispose pas de ces caractéristiques essentielles :
- l’ordinateur de vote est un périphérique actif
- l’ordinateur de vote effectue des traitements : ce qui rentre dans l’ordinateur de vote peut-être différent de ce qui en sort
- le traitement n’est pas observable (même quand l’ordinateur de vote utilise un logiciel libre)
Pour légitimer le vote électronique et pallier ces faiblesses, ses défenseurs ont imaginé 2 mécanismes censés renforcer la légitimité du vote électronique : la production d’une preuve physique du vote, pour garantir l’auditabilité du processus de vote et l’utilisation de technologies de chiffrement, pour garantir le secret du vote.
La production d’une preuve physique consiste à imprimer un bulletin papier, vérifié par le citoyen avant d’être glissé dans une urne, comme pour le vote classique. Ce mécanisme présente cependant plusieurs problèmes :
Si la contestation du vote électronique est fréquente, il faut recompter toutes les preuves physiques et on perd tous les avantages du vote électronique (que ces avantages soient les bonnes ou les mauvaises raisons) alors que les citoyens ne sont a priori pas mobilisés pour ce recomptage (puisque l’ordinateur de vote est censé être là pour ça).
Si le résultat du recomptage des preuves physiques donne un résultat différent de celui de l’ordinateur de vote, lequel prendre en compte ? Si on prend en compte le recomptage des preuves physiques, on admet implicitement que le vote électronique est moins fiable.
Si on réalise un recomptage d’un échantillon de preuves physiques, qui décide des bureaux de vote à auditer ? Qui décide de la manière de déterminer l’échantillon, de la taille minimale de l’échantillon (les élections se jouent parfois à peu de chose près) ? Qui est en charge de la gestion des preuves physiques ?
Une fraude réussie est indétectable. Une fraude légère et discrète est suffisante pour avoir des conséquences importantes sur le résultat du scrutin.
Quant au chiffrement de la preuve physique, plusieurs études se sont intéressées à l’utilisation de mécanismes de chiffrement pour garantir le secret du vote, mais ce chiffrement n’a de sens que dans le cadre de la production d’une preuve physique. Par ailleurs, l’utilisation des technologies de chiffrement rend le processus complexe et non transparent. C’est un difficile équilibre entre respect de la transparence et respect du secret du vote, l’auditabilité étant déléguée à des experts du chiffrement. En cas de contestation, peu de personnes seront capables d’évaluer l’intégrité du vote et sa légitimité. L’auditabilité du processus de vote n’est plus accessible à tous les citoyens, elle devient une bataille d’experts.
Dans tous les cas, il faut savoir que ces deux mécanismes précédemment cités n’apportent cependant pas toute les garanties souhaitées car elle ne permet pas :
- le respect du secret (en récupérant la preuve physique on peut savoir quel vote a été exprimé, on peut donc vendre son vote ou contraindre le citoyen à voter de telle ou telle manière)
- ni la prévention du bourrage électronique du vote en ajoutant des votes fictifs et en faisant pointer plusieurs preuves physiques sur le même vote exprimé
- le recomptage des votes exprimés
4. Il existe d’autres problèmes potentiels liés à l’outil informatique du vote électronique
- On peut installer un logiciel frauduleux et impossible à détecter
- le décompte de voix est systématiquement et délibérément faux
- Bug logiciel, erreur matérielle
- difficulté de détection dans certains cas
- intérêt à ne pas révéler les bugs pour sauvegarder la réputation des fournisseurs
- Violations de secret de vote liées à certains facteurs
- Ecriture d’informations en mémoire non-volatile
- Problème éventuel du logiciel, problème de rayonnement électromagnétique ou de matériel
- Fonctionnement non-intuitif de la machine.
Dans la plupart des codes électoraux des grandes démocraties il est écrit « […] dans les bureaux de vote dotés d’une machine à voter, le bureau de vote s’assure publiquement, avant le commencement du scrutin, que la machine fonctionne normalement […]».
Est-ce que cela signifie publiquement
- que le logiciel présent est celui qui a été audité (signature électronique impossible à vérifier dans le bureau de vote) ?
- que le matériel présent est bien celui qui a été audité ?
- que le matériel charge bien le logiciel normal et qu’il n’y a pas un autre logiciel en cachette (c’est la partie difficile la plus difficile à détecter tant qu’on n’a pas la signature du logiciel et sa clé privée que le fournisseur ne donne jamais) ?
5. Quid de la formation des agents électoraux comme des électeurs et de l’évaluation de cette formation ?
La nature de la formation requise par les électeurs dépendra de la complexité du système de technologie. Dans un pays comme le Bénin où le nombre d’analphabètes est proportionnel à la difficulté d’avoir Internet et le haut débit 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, a t’on prévu des mesures spéciales pour les électeurs qui ont des difficultés à lire, les personnes qui ne connaissent pas la langue française ou qui ont une déficience visuelle ? Y aura t’il du personnel disponible dans les bureaux de vote pour porter assistance aux électeurs qui pourraient en avoir besoin. Il y aura toujours des électeurs qui ne se sentiront pas à l’aise avec un système de technologie et qui auront besoin de l’aide d’une personne. Lorsque le processus électoral offre à l’électeur la possibilité de voter à domicile soit par Internet, par téléphone ou par la poste, il importe de mettre à sa disposition un bureau d’aide auquel il peut téléphoner pour parler à un préposé compétent. Est-ce que ce sera le cas chez nous au Bénin ?
La formation n’est pas une fin en soi. Une fois terminée, elle doit faire l’objet d’une évaluation afin de déterminer si le temps, les efforts et les fonds qui y ont été consacrés sont justifiés, si les besoins et les objectifs fixés ont été réalisés et si le degré de rendement souhaité a été atteint.
Un vote électronique pourrait présenter des avantages sous d’autres cieux. Il n’est cependant pas à l’heure actuelle souhaitable de proposer ce type de vote s’il n’est pas possible de garantir dans le même temps la transparence de ce dernier. En effet, la perte de légitimité d’un tel scrutin aurait pour effet de saper les bases même de la démocratie. Aujourd’hui, les avantages procurés par le vote électronique sont mineurs par rapport aux inconvénients qu’il induit.
Ce qui importe aujourd’hui pour notre pays, c’est beaucoup plus la révision expresse de la liste électorale et non l’introduction du vote électronique invérifiable.
Il y’a un avantage à cette révision :
- sa simplicité : car on part d’un existant (fichier 2011) qu’il faut seulement actualiser ;
- son coût financier raisonnable par rapport à une actualisation, après recensement ;
- le dispositif organisationnel et un déploiement humain plus légers.
Pour la révision et la correction de la LEPI il y a lieu de procéder comme suit :
désigner de façon consensuelle les commissions techniques et administratives de supervision du nouveau recensement ;
fixer les modalités de prise en compte des personnes non recensées et la procédure de correction, de saisie et de validation des données issues des recensements ;
- préparer le recensement ;
- définir la méthodologie du recensement ;
- former les équipes en évitant les erreurs du passé;
- acquérir le matériel et la logistique nécessaires ;
- effectuer le recensement lui-même sur le terrain ;
- exploiter les résultats du recensement et en extraire la liste électorale actualisée.
Pour conclure mon propos
Notre LEPI loin d’être parfaite a cependant besoin d’être évaluée pour améliorer les performances de ce qui s’est fait jusque là. En ce sens, nous ne devons que faire un plaidoyer à l’endroit des uns et des autres pour concilier les positions. L’essentiel est que nous nous entendions sur ce qui doit être la ligne jaune à ne franchir par n’importe quel camp. Et cet essentiel est qu’il y a des difficultés objectives liées au processus, d’autres pour la plupart techniques même si certaines sont aussi politiques et qu’on ne saurait nier. Fondamentalement, à ce que je sache, personne n’a eu à déclarer une opposition frontale et franche à la LEPI. Le reste porte aujourd’hui sur les détails de la mise en œuvre de son audit et de sa correction. Des détails qui ont quand même leur importance. Il s’agit certes, d’un outil technique mais destiné à une matière politique, les élections. Il va de soi que la confiance ne peut pas être de mise spontanément surtout dans un pays où la culture de la méfiance réciproque est un fait sociologique fortement ancré dans l’inconscient collectif. Il est donc important que ceux (le gouvernement et sa majorité parlementaire, la Cour constitutionnelle) qui sont en situation de rassurer le fassent surtout maintenant.
Le droit de vote est un droit constitutionnel qui ne peut souffrir d’aucune restriction extérieure à la volonté de leur titulaire, notamment par l’application d’une loi à laquelle la Constitution est supérieure. L’application de la loi doit se faire dans le renforcement de la garantie constitutionnelle de ce droit politique. Pour l’avenir en prévision des prochaines compétitions électorales, il serait nécessaire de rendre la phase d’affichage public des listes provisoires effective sur toute l’étendue du territoire et dans un délai raisonnable par rapport à la date du scrutin ; de respecter le caractère obligatoire et incompressible du recours, afin de donner un moyen à tous les citoyens concernés par la loi (8 ans et plus) de faire valoir leur droit constitutionnel de vote, en contrôlant leur présence sur les dites listes ou de porter les recours subséquents auprès des autorités désignées. Ceci est le seul moyen pour éviter l’exclusion.
Et pour paraphraser mes amis Nourou Dine SAKA SALEY et Lionel KPENOU CHOBLI, une LEPI exclusive de vices est :
- exhaustive (au moins 97% des citoyens admissibles sont inscrits) ;
- exacte (les erreurs de saisie de données sont inférieures à 3%) ;
- actualisée (les renseignements sur chaque électeur sont à jour dans 90% des cas)
et inclusive (l’inscription sur les listes électorales est effectives pour les citoyens appartenant à tous les groupes et à toutes les catégories).
Par Gino ALAVO,
Diplômé de 3è cycle en Administration et gestion des élections; Chercheur associé chez MédicisCo – Cotonou, Paris. Publié le samedi 11 février 2012
Publié par La Nouvelle Tribune